SUR ANNE-LOUIS GIRODET. III Danaé, gravé sous le n° 143. Ce tableau ne fut payé que 600 francs : le possesseur en demande maintenant 25,000. On cite beaucoup d'exemples semblables, dans les biographies des artistes anciens, mais il est extraordinaire de voir une telle variation de prix en trente années. Girodet fit ensuite, pour le roi d'Espagne, quatre tableaux des Saisons. Son talent, apprécié du public, le fut également du gouvernement, et en 1801 il se trouva chargé de faire un tableau pour la Malmaison. Girodet devait là se trouver en concurrence avec M. Gérard; mais, soit hasard, soit avec intention, elle devint complète, puisqu'il traita aussi un sujet ossianique. On se rappelle avec étonnement les beautés de ces deux tableaux : celui de Girodet représentait Fingal et ses descendans recevant dans leurs palais aériens les mânes des héros français. Immédiatement après, Girodet s'occupa de son grand et magnifique tableau représentant une Scène du déluge, qui parut au salon de 1806. Les Funérailles d'Atala parurent en 1808 : ce nouveau chef-d'œuvre fut généralement admiré. Enfin le tableau de Napoléon recevant les clefs de Vienne, qui fut exposé la même année, et celui de la Révolte du Caire, qui parut en 1810, vinrent compléter la série des ouvrages de Girodet, dont la gloire est principalement fondée sur ce qu'il fit pendant ces dix années. Quoique les prix décennaux fondés en 1804 n'aient pas été donnés en 1810, ainsi que cela devait être, Girodet n'en eut pas moins la gloire de voir son tableau du Déluge désigné par le jury comme digne du grand prix : cette distinction lui parut d'autant plus glorieuse, que parmi les autres ouvrages présentés au concours, on remarquait le tableau des Sabines, par David son maître. La santé de Girodet s'affaiblissait considérablement, et il en éprouvait d'autant plus de chagrin, qu'il avait ressenti que le travail assidu lui était contraire: aussi se vit-il obligé de ne plus s'occuper de grands ouvrages; mais son imagination n'en NOTICE HIST. ET CRIT. SUR GIRODET. continua pas moins de travailler, et c'est alors qu'il fit cette innombrable quantité de dessins, dont il avait puisé les idées dans les ouvrages d'Anacréon, de Virgile, de Sapho, d'Ossian, et des autres poètes, dont la lecture faisait ses délices. Les travaux de Girodet parurent cependant encore au salon de 1824, où on vit les portraits en pied de Cathelineau et du général Bonchamps; mais avant que l'exposition fût terminée, Girodet n'existait plus. Sentant sa fin approcher, il éprouva sans doute de vifs regrets de ne pouvoir exécuter tout ce que son âge lui permettait encore de faire. Surmontant le mal qui l'accablait, il sort de son lit, soutenu par sa seule domestique, et monte à son atelier : il promène ses regards mourans sur des travaux qu'il n'achèvera pas; il considère dans un morne silence et pour la dernière fois les lieux témoins de tant de veilles, de tant d'études; mais ne pouvant soutenir une situation si pénible, il se retire lentement, puis, se retournant sur le seuil de la porte : « Adieu, dit-il d'une voix éteinte; adieu, je ne vous reverrai plus. » Les élèves de toutes les écoles se réunirent aux siens pour lui rendre les derniers hommages: ses dépouilles mortelles furent accompagnées de tout ce que Paris renfermait de plus distingué et de plus recommandable. Un monument lui fut élevé au cimetière de l'Est, sur les dessins de son ami, M. Percier, et le buste dont il est orné a été exécuté par M. Desprez. M. P. A. Coupin a publié en 2 volumes in-80 les OEuvres littéraires de Girodet; il a mis ainsi le public à même de juger des talens de notre peintre pour la poésie, et surtout des conseils qu'il sait donner relativement à l'art de peindre. Ce recueil est précédé d'une notice du plus haut intérêt, écrite par M. Coupin, sur la vie et les ouvrages de Girodet. IV NOTICE HISTORIQUE ET CRITIQUE SUR ANTOINE CANOVA. Depuis long-temps la sculpture était tellement négligée en Italie, qu'elle semblait en quelque sorte n'avoir plus rien de ce grandiose dont cependant on voyait tant d'exemples dans les nombreux ouvrages des Grecs qui ornent les musées italiens. Canova, fils d'un tailleur de pierres, naquit avec un tel sentiment de la sculpture, qu'il ne tarda pas à se faire remar, quer, et que celui chez lequel il travaillait comme simple our vrier devina son talent, et lui procura les moyens de le déve, lopper. Antoine Canova naquit à Possagno, près de Trévise, le 1er novembre 1757. Il était encore enfant lorsqu'un jour il fixa l'attention d'un patricien de Venise, nommé Falieri, en plaçant sur sa table un lion modelé avec du beurre. Ce seigneur plaça Canova chez un sculpteur nommé Torretti, et bientôt il y fit de grands progrès. On conserve encore à Venise ses premiers essais : ce sont deux corbeilles de fruits exécutées en marbre. Après la mort de Torretti, Canova continua quelque temps ses études sous la direction de Ferrari, neveu de son premier maître; mais il ne tarda pas à le quitter pour étudier à l'Académie des beaux-arts de Venise, où il remporta bientôt plusieurs prix. Il avait vingt-deux ans lorsqu'il fit son groupe 11 NOTICE HISTORIQUE ET CRITIQUE de Dédale et Icare: on fut si content de cet ouvrage, que le sénat de Venise l'envoya à Rome avec une pension de 300 ducats. C'est en 1779 que Canova arriva dans la ville des beauxarts; mais à cette époque la sculpture avait singulièrement perdu le caractère de l'antique. Quelques savans luttaient alors en faveur d'une révolution devenue nécessaire, et les conseils comme les travaux de ces hommes habiles eurent la plus heureuse influence sur les travaux de Canova. C'est en étudiant la théorie de l'art telle que la concevaient Raphaël Mengs, le chevalier Hamilton, et surtout le célèbre Winkelman; c'est en mettant leurs leçons en pratique, que Canova sut se frayer une route alors nouvelle, et que pendant une longue vie il a marché de succès en succès. Il suffit aujourd'hui à son éloge de citer des ouvrages tels que les monumens d'Alfiéìi et de Nelson, les groupes de l'Amour et Psyché, de Vénus et Adonis, les trois Danseuses, les Grâces, Pâris, Mars et Vénus, et surtout cette Madeleine repentante, l'un des plus riches ornemens du cabinet Sommariva, et peut-être le chef-d'œuvre de son auteur. De si importans travaux avaient rendu le nom de Canova célèbre dans toute l'Europe. Pendant les troubles de l'Italie, en 1798 et 1799, il accompagna en Autriche et en Prusse le prince Rezzonico, et à son retour à Rome le pape Pie VII le nomma inspecteur général des beaux-arts dans tous les ÉtatsRomains, avec une pension de 400 écus. Mandé à Paris par le premier consul Bonaparte, Canova quitta Rome et l'Italie avec l'autorisation du souverain pontife: il fut accueilli en France avec tous les témoignages d'estime et d'admiration dus à un si grand talent. La classe des beaux-arts de l'Institut le reçut comme associé étranger. C'est pendant son séjour à Paris qu'il exécuta la statue du premier consul, qu'on a nommée aussi Mars pacificateur. On se rappelle que cette statue ne fut SUR ANTOINE CANOVA. III coups de point exposée parce qu'elle ne plaisait point à Napoléon, qui dit en la voyant : Canova croit donc que je me bats poing? Aujourd'hui elle appartient au duc de Wellington. En 1810, l'Académie de Saint-Luc à Rome donna à Canova le titre de prince de l'Académie, distinction que depuis longues années on n'avait décernée à aucun artiste. Lors de son second voyage à Paris, Canova reçut un accueil bien différent de celui qu'il avait eu lors de son premier voyage dans cette capitale : il est vrai de dire qu'il venait en France pour présider à l'enlèvement des objets d'art que le sort des armes avait mis en notre pouvoir. On ne peut blâmer le zèle qu'il déploya alors pour faire rentrer dans sa patrie les chefs-d'œuvre qui en avaient long-temps fait l'ornement; mais il peut être permis de rappeler que la hauteur avec laquelle l'artiste remplissait ses fonctions diplomatiques, lui attira plusieurs désagrémens, dont il crut devoir se plaindre. Le ministre français auquel il adressait ses vives réclamations ne paraissant pas adopter ses raisons, notre Italien crut pouvoir lui représenter que dans cette circonstance il était ambassadeur du pape; c'est emballeur que vous voulez dire, lui répondit l'excellence. Mais à son retour à Rome Canova fut amplement dédommagé des désagrémens qu'il avait eus à Paris, par les honneurs de toute espèce dont il fut accablé. L'Académie de Saint-Luc alla en corps à sa rencontre, Pie VII voulut le recevoir en audience solennelle, et lui remettre le diplôme constatant son inscription au livre d'or du Capitole. Il le nomma marquis d'Ischia, avec une dotation de 3,000 écus romains. En artiste généreux, Canova voulut consacrer cette somme tout entière à l'encouragement des arts. Du reste, ce grand statuaire fit constamment le plus noble usage de son immense fortune il fonda cinq prix annuels en faveur des élèves italiens de l'Académie de Rome, et ne cessa pendant toute sa vie d'aider les jeunes artistes de ses conseils et de sa bourse. Une : |