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L'AFFAIRE DES FAUX BILLETS DE BANQUE PORTUGAIS.

Le déséquilibre économique d'après-guerre n'est certes pas étranger à la série d'affaires pénales, d'une analogie frappante, que nous avons vu surgir dans divers pays d'Europe, pour réprimer des crimes et des délits contre la foi publique. Ces affaires avaient presque toutes un caractère international, non seulement parce que les individus poursuivis étaient de nationalités différentes et agissaient de concert, mais encore parce que les fonds, que ces ,,affaires" procuraient illicitement à ces malandrins cosmopolites, servaient effectivement à un trafic qui devait s'exercer dans différents pays. Ainsi on a eu l'affaire Windischgraetz, en Hongrie, l'affaire Barmat, en Allemagne, d'autres encore, ailleurs.

Ajoutez à cela que la fabrication de billets de banque, tant faux que véritables, a pris un développement incroyable ces derniers temps. Cette activité bancaire inouïe est devenue en quelque sorte un moyen de défense d'Etat à Etat. L'inflation excessive, pratiquée par beaucoup de gouvernements, au point d'être bien près de devenir illicite et, en tous cas, injuste à l'égard des populations qu'elle dépossédait, a dû avoir, par son dédain de la moralité, une influence néfaste sur l'imagination des falsificateurs en général et de ceux qui étaient enclins à la contrefaçon des monnaies en particulier.

C'est au point de vue de cette maladie internationale, type d'après-guerre, que nous avons cru qu'il serait intéressant de savoir de quelle façon le tribunal de La Haye a traité une affaire pareille, qui devra être jugée encore au Portugal.

Le Bureau international de traductions juridiques (B.I.T.I.), à La Haye, a été autorisé à mettre à notre disposition la traduction qu'il a été chargé de faire en langue française du jugement rendu par le tribunal de La Haye dans l'affaire des faux billets de banque portugais.

Traduction:

AU NOM DE LA REINE,

Le Tribunal d'arrondissement à La Haye, faisant droit en matière pénale, a rendu le jugement suivant en cause de

l'Officier de Justice

contre

Karel Marang, se nommant Marang van Ysselveere, né à Dordrecht, le 13 juillet 1884, commerçant, demeurant à La Haye, actuellement en détention préventive,

Le Tribunal,

inculpé.

Vu l'instruction tenue à l'audience;

Ouï le réquisitoire de l'Officier de Justice, tendant à ce que l'inculpé soit déclaré coupable:

1. de faux en écritures sur papier de crédit destiné à la circulation; 2. d'avoir intentionnellement contrefait des billets de banque dans le but de les émettre comme véritables et non falsifiés;

et soit par conséquent condamné à un emprisonnement pendant quatre ans, avec ordre de destruction des pièces de conviction saisies;

Ouï l'inculpé dans sa défense, assisté par MMes J. H. Rolandus Hagedoorn et J. R. C. van Bemmel Suyck, avocats à La Haye.

Considérant que l'inculpé est cité du fait:

Primairement:

1°. qu'il a, à Londres, du moins en Angleterre, ensemble et de concert avec quelques autres personnes, du moins seul, à ou environ l'époque allant du mois de novembre 1924 au mois de mai 1925, intentionnellement, par William Alfred Waterlow, chairman de Waterlow and Sons, Limited, établi à Londres, Frederic William Goodman, directeur de cette société, Roland Samuel Springall, assistant à cette société, Geo H. Rose, chef du travail d'imprimerie à cette société et les personnes occupées dans ce travail d'imprimerie à la fabrication des billets de banque à désigner ci-après, du moins par une ou plusieurs des personnes susnommées, agissant et opérant pour la dite société, en l'installation d'imprimerie de la dite société établie en Angleterre, faussement fait confectionner une quantité de 200.000 billets de banque, du moins une très grande quantité de billets de banque, étant du papier de crédit ou de commerce destiné à la circulation, chacun de 500 escudos du type Vasco da Gama du Banco de Portugal établi au Portugal, du fait qu'il a, en temps et lieu mentionnés, intentionnellement, par les personnes nommées ci-dessus, en faisant usage illicite des matrices ou clichés véritables du billet ci-dessus décrit du Banco de Portugal et en faisant usage illicite des cachets de signature véritables du gouverneur et des directeurs de cette banque, quels matrices ou clichés et cachets de signature étaient en la possession de la dite société Waterlow and Sons, Limited, faussement fait imprimer et fait fabriquer la quantité de billets de banque ci-dessus décrite, quels billets de banque concordaient tous entièrement avec les billets de banque véritables de l'import et du type de cette banque, en papier, format, dessin, impression et couleur, ce dans le but d'employer ou de faire employer par d'autres ces billets de

banque faussement confectionnés comme véritables et authentiques, alors que de cet emploi pouvait résulter quelque préjudice;

2°. qu'il a, à Londres, du moins en Angleterre, ensemble et de concert avec quelques autres personnes, du moins seul, à ou environ l'époque allant de la fin du mois de juillet 1925 au mois de décembre 1925, par William Alfred Waterlow, chairman de Waterlow and Sons, Limited, établi à Londres, Frederic William Goodman, directeur de cette société, Roland Samuel Springall, assistant à cette société, Geo H. Rose, chef du travail d'imprimerie à cette société et les personnes occupées dans ce travail d'imprimerie à la fabrication des billets de banque à désigner ci-après, du moins par une ou plusieurs des personnes sus-nommées, agissant et opérant pour la dite société, en l'installation d'imprimerie de la dite société établie en Angleterre, fait contrefaire une quantité de 380.000 billets de banque, du moins une très grande quantité de billets de banque, chacun de 500 escudos du type Vasco da Gama du Banco de Portugal établi au Portugal, du fait qu'il a en temps et lieu mentionnés, intentionnellement, par les personnes nommées ci-dessus, en faisant usage illicite des matrices ou clichés véritables du billet ci-dessus décrit du Banco de Portugal et en faisant usage illicite des cachets de signature véritables du gouverneur et des directeurs de cette banque, quels matrices ou clichés et cachets de signature étaient en la possession de la dite société Waterlow and Sons, Limited, faussement fait imprimer et fait fabriquer la quantité de billets de banque ci-dessus décrite, quels billets de banque concordaient tous entièrement avec les billets de banque véritables de l'import et du type de cette banque, en papier, format, dessin, impression et couleur, ce dans le but d'émettre ou de faire émettre ces billets de banque comme véritables et authentiques;

Subsidiairement:

qu'il a, à La Haye, du moins à Rotterdam, au ou vers le mois de décembre 1925, intentionnellement eu en réserve en quatre malles une très grande quantité de billets de banque faux, chacun de 500 escudos du type Vasco da Gama du Banco de Portugal établi au Portugal, qu'il avait lui-même contrefaits, du moins avait fait contrefaire, du moins dont la fausseté, lorsqu'il les reçut, lui était connue, dans le but de les émettre ou faire émettre comme véritables et authentiques;

Plus subsidiairement:

qu'il a, à La Haye, du moins à Londres, au ou vers le mois d'août 1925, intentionnellement fait usage de l'écrit faux, du moins falsifié, suivant:

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In reply to your favour of the 6th. inst. I beg to inform you, that I fully agree with its contents. With regard to the numbers, I kindly request you to print same in red colour.

Hoping the execution of this order will have your undivided attention, I remain, dear Sirs,

Yours faithfully,

lequel écrit faux, du moins falsifié, était faussement signé „I. Camacho Rodrigues, Chairman of the Bank of Portugal", du fait qu'il a envoyé cet écrit de La Haye à la destinataire Waterlow and Sons Limited à Londres, le lui a fait parvenir en sa possession et le lui a produit, pour servir à la fabrication de billets de banque faux, faite sur son ordre par la dite destinataire, du moins du fait qu'il a pris avec lui cet écrit de La Haye à Londres pour servir à la fabrication de billets de banque faux, faite sur son ordre par la dite destinataire, et l'a, là, remis à la susdite destinataire, comme si cet écrit était véritable et authentique, alors que de cet usage pouvait résulter quelque préjudice;

Plus que subsidiairement:

qu'il a, à La Haye, du moins à Rotterdam, au ou vers le mois de décembre 1925, intentionnellement, par esprit de lucre, gardé, du moins recélé en quatre malles, une grande quantité de billets de banque faux, chacun de 500 escudos du type Vasco da Gama du Banco de Portugal établi au Portugal, quels billets de banque avaient été obtenus en les contrefaisant, du moins en les faisant contrefaire, dans le but d'émettre ou de faire émettre ces billets de banque comme véritables et authentiques, quels billets de banque du moins avaient été obtenus par délit;

Plus que plus subsidiairement:

qu'il a, à La Haye, du moins à Rotterdam, au ou vers le mois de décembre 1925, par esprit de lucre, gardé, du moins recélé en quatre malles une très grande quantité de billets de banque faux, chacun de 500 escudos du type Vasco da Gama du Banco de Portugal établi au Portugal, tandis qu'il fallait imputer à sa faute grave qu'il n'a pas su que son acte concernait des billets de banque, qui avaient été obtenus en les contrefaisant, du moins en les faisant contrefaire, dans le but d'émettre ou de faire émettre ces billets de banque comme véritables et authentiques, du moins avaient été obtenus par délit;

Considérant que l'inculpé a déclaré à l'audience être Néerlandais; Considérant que les faits mis à charge primairement et plus subsidiairement sont considérés comme délits par la loi pénale néerlandaise, tandis qu'ils sont punis par la loi du pays où ils seraient commis, savoir l'Angleterre, de sorte que l'Officier de Justice est recevable en ses réquisitions; Considérant que le Tribunal, à l'égard des faits mis primairement, subsidiairement, plus subsidiairement et plus que subsidiairement à charge de l'inculpé, n'a pas acquis par des preuves légales la conviction que l'inculpé ait commis ce qui est mis à sa charge, de sorte qu'à cet égard il doit être acquitté;

A l'égard de ce qui est mis plus que plus subsidiairement à charge de l'inculpé:

Considérant que l'inculpé a déclaré à l'audience:

qu'il reconnaît qu'à La Haye, aux environs du mois de décembre 1925, il a gardé par esprit de lucre, dans quatre malles, une très grande quantité de billets de banque, chacun de 500 escudos du type de Vasco da Gama du Banco de Portuga', établi au Portugal, lesquels avaient été obtenus en les faisant fabriquer dans le but d'émettre ces billets de banque comme véritables et non falsifiés;

qu'aux environs du mois de juin 1924, lorsque Adolfo Hennies était déjà depuis longtemps son associé en affaires, il est entré en relations avec Arthur Alves Reis à Lisbonne, avec lequel sa firme a alors conclu une convention au sujet d'exportation de bière; qu'au début de juillet 1924, la Rotterdamsche Bankvereeniging lui a fourni au sujet de ce Reis le renseignement suivant:,,s'abstenir"; que là-dessus il a télégraphié, le 9 juillet 1924, à Hennies se trouvant à Lisbonne: „Banque télégraphie: s'abstenir, donc prudence"; que là-dessus, lui a été adressé, au nom de Hennies comme expéditeur et daté du 17 juillet 1924, un télégramme disant: „Contrat avec Reis annulé”;

qu'au début de 1924, il a causé d'affaires aussi avec José de Santos Bandeira, ensuite de quoi, il télégraphiait, le 11 juin 1924, à Hennies:,,Bandeira de retour, venez immédiatement, télégraphiez";

qu'aux environs de septembre-octobre 1924, il y a eu, à l'Hôtel des Indes, à La Haye, un entretien avec les banquiers Einhorn sur un projet, conçu par Reis et José de Bandeira, d'obtenir un emprunt pour le gouvernement portugais, moyennant le gage de billets de banque portugais;

que Reis et José de Bandeira voulaient contracter un emprunt de devises et étaient à cette fin venus du Portugal avec Hennies; qu'avec de Bandeira et Hennies, qui avait invité les Einhorn, il a pris part à cet entretien et y a proposé aux Einhorn de réaliser les billets de banque par son intermédiaire, en lui laissant faire, pour leur montant, des achats à l'Angola; que, lorsque les Einhorn ne voulaient donner suite au projet, il a été conçu un autre projet, d'après quel projet il serait prêté au gouvernement en son nom £1.500.000 contre des billets de banque portugais, qui sous garantie de banque pourraient être convertis en produits d'Angola, qui rapporteraient de nouveau les livres-sterling, qui avaient servi à satisfaire à l'obligation, résultant de l'emprunt, de procurer les livres-sterling à des termes de trois, six et neuf mois;

que ce projet n'a pas été réalisé, parce que l'inculpé n'a pas pu obtenir une garantie de banque pour ƒ 12.000.000;

que l'inculpé a télégraphié, le 20 octobre 1924, à José de Bandeira: „Adolfo d'accord, télégraphiez qui part et quand" et, le 21 octobre suivant, à Hennies, dont le prénom est Adolfo, et qui était désigné par l'emploi de ce prénom „,Bandeira Reis viennent jeudi Berlin"; que ces deux télégrammes se rapportent à la délibération au sujet du projet dernièrement dit; que, lorsque dans le télégramme du 3 novembre 1924 de José de Bandeira à Reis, il est annoncé: „Banquiers ont fixé mon départ Lisbonne demain porteur dernière condition emprunt", par,,banquiers" sont désignés Hennies et lui, l'inculpé, qui étaient ainsi appelés par messieurs les Portugais;

que le télégramme en date du 11 novembre 1924, qu'il reçut au nom

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